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Martin Fayulu : « C’est Joseph Kabila qui dirige toujours tout »

 

Septante jours après les élections présidentielle et législatives nationales et provinciales en République démocratique du Congo, Martin Fayulu, donné largement vainqueur par diverses sources mais non désigné vainqueur par la Commission électorale nationale indépendante (Ceni) entame une tournée internationale qui commence par la Belgique. Rencontre.

Monsieur Fayulu que comptez-vous faire malgré la décision de la Ceni et le rejet de vos recours par la Cour constitutionnelle ? 

Je continue à me battre. Je parcours le Congo, je suis allé dans le Kivu, dans le Kwango, le Kwilu et le Congo central et, maintenant, j’entame une tournée à l’extérieur pour rencontrer les Congolais mais aussi les autorités des pays que je vais visiter.

Quel est l’objectif de votre démarche ? 

Tenter de trouver une solution à la crise de légitimité que Monsieur Nangaa (le président de la Ceni) a fait naître et qui a été confirmée par la Cour constitutionnelle. Si je vais à la rencontre de mes compatriotes, au pays et à l’étranger, c’est aussi pour leur dire qu’il faut garder confiance dans la démocratie. Pour eux, pour nous, les élections, c’était un moment important. Il ne faut pas que les Congolais perdent confiance dans la démocratie.

N’avez-vous  pas le sentiment d’être de plus en plus seul sur la scène internationale ? 

Non, même s’il est vrai que certains Etats ont avoué qu’ils ont préféré la paix à la vérité des urnes. Mais il n’y a pas de paix sans cette vérité. Au Congo, il y a une unanimité de façade. D’ailleurs, depuis que M. Tshisekedi a prêté serment combien de Congolais ont été tués dans l’est du pays, à Beni, à Goma. Rien n’a changé, on ne peut pas continuer comme ça.

Vous avez quelque chose à proposer ? 

J’ai fait une proposition en deux volets pour obtenir la vérité des urnes qui, seule, peut ramener la paix. Le premier volet : le recomptage des voix mais je comprends que ce soit difficile parce que la Ceni n’a pas les PV des bureaux de vote. Le deuxième volet : de nouvelles élections, pas seulement pour la présidentielle mais aussi pour les législatives nationales et provinciales, parce que tous les résultats ont été fabriqués. Certes, il y a des députés qui sont réellement élus mais beaucoup ont été nommés par Monsieur Nangaa et on doit résoudre cette crise de légitimité. N’oubliez pas que le peuple congolais s’est rendu aux urnes et a choisi ses dirigeants et ce sont ces dirigeants qui doivent gérer le pays et pas d’autres personnes.

Vous pensez à Félix Tshisekedi ?

Notamment. Monsieur Tshisekedi n’a aucune légitimité et il n’a aucun contrôle parce qu’il a été désigné par Monsieur Kabila qui contrôle tout. Or, le peuple a voulu le changement mais le système Kabila demeure, Monsieur Tshisekedi n’est qu’un masque. Si on veut se contenter du statu quo, c’est très bien. Si on veut respecter la volonté du peuple, il faut du changement. Nous partageons tous des valeurs judéo-chrétiennes, notamment des valeurs comme le respect et l’intégrité. Ces valeurs sont-elles respectées dans le cadre des élections congolaises ? Non, évidemment. Si on a établi de nouvelles règles dans nos démocraties, il faut nous le dire. Si on joue désormais à qui perd – gagne, allons-y et disons aux Congolais: faites tout pour perdre parce que, ainsi, c’est vous qui serez les vainqueurs.

Si vous aviez les PV des bureaux de vote, pourquoi ne pas les avoir publiés ?

Nous sommes venus devant la Cour constitutionnelle avec des cartons remplis de PV et de photographies de PV. La Cour devait les comparer aux PV de la Ceni mais elle ne les a jamais transmis. Les chiffres obtenus par les évêques correspondent à ceux que nous avons collationnés dans notre centre géré par Pierre Lumbi, le directeur de campagne. M. Nangaa n’a jamais contesté ces résultats. Il ne faut donc pas dire que nous ne les avons pas publiés, la Cour constitutionnelle a tout reçu. Il lui suffisait de faire son travail, de faire le recomptage des voix mais elle ne l’a pas fait.

Malgré ce contexte, vous pensez qu’un retour aux urnes est vraiment envisageable ? 

Bien sûr, j’y crois. Aujourd’hui, nous avons un fichier électoral qui doit être assaini et, pour ce faire, il faut appliquer les recommandations des experts de l’Organisation Internationale de la Francophonie (OIF). On change la composition de la Ceni, on change la composition de la Cour constitutionnelle et nous n’avons plus beaucoup de millions de dollars à dépenser pour retourner aux urnes. Admettons que cela coûte 200 ou même 300 millions de dollars, il faut faire un calcul de coûts d’opportunité. Deux cents à trois cents millions de dollars par rapport à ce qu’on est en train de perdre. Il y a quelqu’un qui est là depuis plus d’un mois mais le pays n’avance pas. C’est un climat délétère. Aucun investisseur ni intérieur, ni extérieur ne peut investir aujourd’hui au Congo.

Vous pensez que cela peut être entendu au niveau international ?

Je n’ai pas d’injonction à donner au niveau  international mais les gens doivent savoir que, de toutes les façons, la situation ne peut pas se résorber d’elle-même.

Avant les élections, beaucoup se posaient des questions sur la possibilité d’avoir un scrutin réellement démocratique. Aujourd’hui, avec le recul, estimez-vous que vous avez fait le nécessaire pour aller aux élections dans de bonnes conditions ? 

Je le pense. Certains nous interrogeaient, et ils étaient nombreux, notamment dans la diaspora, sur le fait de savoir s’il fallait aller aux élections avec quelqu’un qui occupe le pays  illégalement, avec quelqu’un qui ne connaît pas les méthodes démocratiques. Nous avons répondu que nous allions tout faire et nous avons reçu le soutien de la communauté internationale et des évêques pour surveiller les élections. Nous avons formé nos membres, nous avons placé des témoins dans les bureaux de vote, nous sommes parvenus à nous entendre sur un candidat commun comme le demandait le peuple. Mes partenaires de Lamuka (plateforme politique) m’ont fait l’honneur de me désigner pour les représenter. Le jour du scrutin, le peuple est allé voter, il a choisi son vainqueur. Tout le monde est au courant. Tout le monde connaît le nom du vrai vainqueur. Le candidat de Lamuka est sorti vainqueur avec 62, 11% des voix. Monsieur Tshisekedi est sorti avec moins de 17%, comme M. Shadary Ramazani. A eux deux, ils n’ont pas 34%, il n’y a pas match. La différence est énorme et on ne peut pas accepter le diktat de Monsieur Nangaa, qui se met à fabriquer des chiffres. C’est pour cela que je dis que la place de Monsieur Nangaa est derrière les barreaux. On ne peut pas laisser ce Monsieur continuer à organiser des élections, on ne peut pas le laisser vivre librement car il a troublé l’ordre public.

Vous parlez de Lamuka, où en est cette plateforme ? 

Lamuka est là et bien là.

Certains, comme M. Kyungu, ont déclaré que Lamuka n’était qu’une plateforme de circonstance seulement mise sur pied pour les élections…

Les leaders de Lamuka sont, je vous les donne dans le désordre, MM. Jean-Pierre Bemba, Moïse Katumbi, Adolphe Muzito, Freddy Matungulu, moi-même et puis vous avez Antipas Mbusa Nyamwesi. Qui, parmi ceux-ci, a dit que Lamuka n’est qu’une coalition électorale ?  Oui, Lamuka est une coalition électorale. Mais Lamuka a un soubassement, il y a des textes, nous avons signé un acte et il est évident que, dans cet acte, il est dit qu’après les élections nous allons évaluer la situation et nous allons nous projeter dans l’avenir. Si les personnes que j’ai citées n’ont rien dit estimez que Lamuka existe toujours. Nous devons nous rencontrer tous très prochainement et vous recevrez un rapport final au terme de cette réunion.

Vous comptez rencontrer MM. Bemba et Katumbi lors de votre passage à Bruxelles ? 

C’est évident. Nous sommes en contact tous les jours par téléphone et nous allons évidemment nous rencontrer.

RDC : Tshisekedi admet un accord avec le FCC: « Qu’il le publie! »

Monsieur Nangaa n’est pas le seul responsable de toute cette situation… 

Vous me comprenez bien, derrière Monsieur Nangaa, il y a Monsieur Kabila et on ne peut pas laisser ce Monsieur continuer à diriger notre pays. Monsieur Tshisekedi est à la tête de l’Etat parce qu’il a été placé à ce poste par M. Kabila. Si on est démocrate, on ne peut pas accepter cette situation. Ce n’est pas une question d’individu ou d’intérêt personnel. C’est l’intérêt de toute une nation et c’est même l’intérêt de l’humanité. Car ces gens, par leur comportement, remettent en cause la démocratie qui est le système qui prévaut dans le monde entier. Si on galvaude la démocratie, si on se résigne à accepter cette situation, que va-t-on enseigner demain à nos enfants ? Comment demander aux Congolais de retourner aux urnes ? Que va-t-on dire aux jeunes qui auront atteint l’âge de voter aux prochaines élections? Or, ils seront des millions dans ce cas et ils comprennent très bien ce qui se passe chez nous. Même un enfant de 7 ans peut comprendre.

Vous avez évoqué un accord signé entre la plateforme de Félix Tshisekedi et celle de Joseph Kabila ? 

Ce sont eux qui en ont parlé. J’ai lu dans divers supports les propos de M. Muamba, conseiller de Félix Tshisekedi, et c’est lui qui dit clairement qu’ils ont un accord pour gouverner pendant dix, quinze et même vingt ans. S’il y a un accord sous seing privé, il ne peut jamais engager la République. Nous, nous demandons qu’on puisse nous donner les détails de cet accord.

Vous espérez vraiment obtenir le texte de cet accord ? 

Les conséquences de cet accord vous pouvez les voir dans un document signé par M. Jean-Marc Kabund, le président intérimaire de l’UDPS,  et M. Néméhie Mwilanya, le coordonnateur du FCC. Ils disent que Monsieur Kabila va désigner le formateur, comprenez le Premier ministre, et Monsieur Tshisekedi va le nommer. La décision vient de qui ? Tshisekedi n’a que la signature et c’est une signature de façade.

Avec une majorité de 341 élus sur 500 à l’Assemblée nationale pour le FCC, il va être compliqué de faire entendre sa voix pour l’opposition ? 

Je préfèrerais que vous puissiez dire avec 341 nommés parce que tous ne sont pas élus. Comment comprendre que ces gens qui ont fait la publicité d’un candidat qui a eu moins de 17% puissent rafler une majorité de près de 70% à l’Assemblée nationale ? Ce n’est pas possible. C’est là que j’éprouve des difficultés à comprendre la logique de la communauté internationale. Cela n’existe nulle part. On vous a bien montré comment ces résultats ont été fabriqués, on vous a bien montré les discussions qui ont eu lieu entre MM. Nangaa et Kabila pour trafiquer les résultats, pour les fabriquer. Si nous acceptons cette tricherie, on se dirige vers une modification de la Constitution. Monsieur Tshisekedi l’a dit, il a repris les propos de M. Kabila, en disant qu’il fallait changer le mode d’élection, trouver un mode moins coûteux. On voit que Tshisekedi fait le jeu de Kabila. On voit aussi que ce dernier s’entête trop. Il ne pourra pas revenir. L’article 70 de la Constitution est très clair, il prévoit que le président de la République est élu au suffrage universel direct pour un mandat de 5 ans renouvelable une seule fois. il ne peut donc pas revenir.

Vous pensez que vous pourrez vraiment vous opposer à ce retour de Kabila ? 

Evidemment, si nous sommes faibles, si on tue la démocratie, si on met de côté les gens qui voient un peu plus clair et qui défendent les intérêts du peuple, ils y arriveront. Monsieur Kabila contrôle bon nombre de députés parce que c’est lui qui les a fait nommer. Tshisekedi n’a pas de prise sur ces gens qui sont complètement dépendants de Kabila.

Vous avez dit que vous aviez été contacté par le clan Kabila après les élections, vous confirmez ? 

Après les élections, la responsable de la Monusco est venue me demander si cela me dérangerait de rencontrer Monsieur Kabila. Je lui ai répondu que ça ne me dérangeait pas s’il s’agissait de lui donner des garanties qu’il n’y aurait pas de chasse aux sorcières, lui confirmer que la Constitution et que la loi qui a été votée dernièrement sur le statut des anciens chefs de l’Etat seraient respectées à la lettre. Moi, je veux gérer ce pays pour le sortir du trou dans lequel Kabila l’a plongé. Je veux montrer au monde entier qu’on peut gérer le Congo et que ce pays avec toutes ses ressources naturelles et humaines peut être un des moteurs du continent africain et même du monde.

Visiblement cette réponse n’a pas suffi au président Kabila? 

En tout cas, je ne l’ai pas vu. J’ai lu dans un magazine que je n’avais pas voulu le rencontrer, c’est entièrement faux. Je suis prêt à écouter tout le monde. Je sais comment construire un consensus, comment discuter avec les gens. Ce que nous voulons aujourd’hui, c’est l’unité et la cohésion nationale, ce sont les deux éléments essentiels.


La Libre Afrique / MCP, via mediacongo.net

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