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Sommet Afrique-France : doutes, espoirs et colère de jeunes Africains

Venus de tout le continent, de jeunes Africains ont exprimé sans fard vendredi leurs attentes et leurs frustrations sur la démocratie et la relation avec la France, lors d'un sommet inédit à Montpellier (sud) privilégiant la parole de la société civile.

Ils viennent du Burkina Faso, du Mali, de République démocratique du Congo, du Maroc... et ils ont beaucoup de choses à dire à la France, concernant l'héritage colonial, la politique des visas ou l'aide au développement. Dès l'ouverture du sommet vendredi matin, auquel ont été conviés quelque 3 000 personnes, la table ronde "Engagement citoyen et démocratie" a attiré de nombreux spectateurs et intervenants.

"Nous avons l'espoir que Montpellier soit un nouveau départ. Qu'on écoute le terrain africain, la jeunesse africaine, elle a des choses à dire au monde et à la France", a lancé Bakary Sambe, directeur du Timbuktu Institute.

Aucun chef d'Etat du continent n'a été invité à ce sommet, qui se tient dans un contexte délicat alors que l'influence de la France dans son ancien pré-carré est de plus en plus disputée, particulièrement par la Russie, et que Paris est en crise ouverte avec deux de ses anciennes colonies, le Mali et l'Algérie.

Évoquant la décision récente de Paris de réduire drastiquement le nombre de visas pour les Algériens, les Marocains et les Tunisiens, Mehdi Alioua, professeur de Sciences politiques à Rabat, a déploré une "punition collective" et dénoncé la politique des visas comme un "système d'humiliation (et) de vexation", sous les applaudissements de l'assistance.

La question de la mobilité reste une préoccupation très importante de la jeunesse africaine, qui n'a pas vu se concrétiser les promesses du président Emmanuel Macron, quatre ans après son discours de Ouagadougou.

Autre sujet très abordé, l'état de la démocratie sur le continent africain, et l'"ingérence française".

"Nous sommes coincés entre un discours condescendant occidental qui veut éduquer les Africains et un discours de nos gouvernements affirmant que les Occidentaux veulent imposer leurs valeurs", a déploré une jeune étudiante de l'université Aix-Marseille, Habiba Issa Moussa, d'origine nigérienne.

"Il faut repenser la gouvernance en Afrique et ne pas faire du copier-coller du modèle de gouvernance européen", a estimé pour sa part un Malien, Clément Dako, plaidant pour que "l'Afrique ait son propre chemin démocratique".

"Les questions essentielles ici, ce n'est pas l'entrepreunariat ou le sport -largement évoquées au sommet de Montpellier, ndlr-, c'est la politique!" a lancé pour sa part la burkinabè Sibila Saminatou Ouedraogo, fustigeant "la relation de dépendance" de l'Afrique à la France.

Doutes

Dans l'après-midi, le président Macron devait débattre avec un panel de douze jeunes Africaines, sélectionnées à l'issue des dialogues menés pendant des mois à travers le continent par l'intellectuel camerounais Achille Mbembe, chargé de préparer le sommet.

"J'aimerais vraiment y croire", a déclaré à l'AFP David Maenda Kithoko, réfugié politique de RDC en France. "Mais j'ai beaucoup de doutes. Concernant la relation entre la France et l'Afrique, il y a beaucoup de grands mots d'une part, et un manque de courage de l'autre", a déploré le jeune militant, qui réclame une reconnaissance des "écocides" miniers dans son pays. "J'aimerais que la France s'engage de manière frontale sur ce sujet, mais des entreprises françaises comme Total profitent de l'extraction minière", a-t-il rappelé.

Dans son rapport, remis mardi au président français, Achille Mbembe estime que la France est trop déconnectée "des nouveaux mouvements et des expérimentations politiques et culturelles" portés par la jeunesse du continent.

À l'issue du sommet, le président français, probable candidat à sa réélection dans sept mois, pourrait faire des annonces générales, s'appuyant sur les propositions d'Achille Mbembe. Parmi elles, la création d'un Fonds destiné à soutenir les initiatives de promotion de la démocratie, des programmes permettant une plus grande mobilité étudiante, ou la mise en place d'un "forum euro-africain sur les migrations".

Quelles sont leurs attentes, 60 ans après les indépendances africaines ? L'AFP a sondé trois des quelque 3 000 invités dans les couloirs du Sommet.

"Rééquilibrer"

Coriet Adou, 21 ans, originaire de Côte d'Ivoire, vit en France depuis cinq ans. Consultante en communication, elle est l'une des fondatrices de Studio Bazar, qui crée des jeux de société. Avec ses collègues, elle a imaginé un jeu de cartes --de type Trivial Pursuit-- contenant 48 questions sur l'Afrique et ses liens avec la France, dont un exemplaire a été donné à Emmanuel Macron.

"Ce sommet, c'est un nouveau format, une espèce d'ouverture. S'il n'y avait que des chefs d'Etat, je ne serais pas là. Ici, tous sont des amoureux de l'Afrique. On n'est pas là que pour le business, ce n'est pas un salon professionnel mais un sommet. Ici, on discute, on est là pour apprendre", dit-elle.

"C'est bien de faire des propositions mais est-ce que ça va se concrétiser? Le but, c'est l'après-sommet. Lors de la consultation, j'ai proposé la création d'Instituts d'Afrique en France, comme il y a des Instituts français partout en Afrique. J'espère que mon idée sera retenue dans les conclusions du sommet".

"Les relations ne sont pas égalitaires entre la France et l'Afrique, on le sait. Mais qu'est ce qu'on fait pour rééquilibrer? Il faut entreprendre, faire de nouvelles choses ensemble. Apprendre aussi aux Français que les Africains savent faire des choses. La suite se jouera sur le Continent".

"Laisser circuler"

Maurice Thantan, 31 ans, est venu spécialement de Cotonou, au Bénin. Il se définit comme un "africtiviste" et est membre de la Ligue des blogueurs et web-activistes pour la démocratie.

"Sur le coup, on ne peut pas dire si le sommet est un succès ou pas, c'est la suite qui le dira. Mais il y a une volonté affichée de changer de paradigme. Le président (Emmanuel Macron) s'est montré disponible pour dialoguer avec de nouveaux acteurs. Et il est prêt à aborder des sujets qui fâchent, c'est déjà une avancée".

"Avoir un visa pour la France, c'est la croix et la bannière. La circulation des personnes, ça ne profite généralement qu'aux enfants de dirigeants, ceux qui pillent le pays. Ceux qui produisent le plus d'efforts sont délaissés. Il faut laisser la circulation se faire".

"Transmettre les savoirs"

Franck Kie, 30 ans, vit à Paris. Originaire de Côte d'Ivoire, depuis trois ans en France, ce spécialiste en cybersécurité compte s'installer à Abidjan à la fin de l'année.

"Mes qualifications, je les ai acquises en France, mais c'est important de les transmettre. C'est pourquoi je vais retourner en Côte d'Ivoire en décembre".

"Le lien culturel avec la France, il reste présent. Il y a des convergences, en termes de façon de travailler, et bien sûr il y a la langue qui nous rassemble. Sans oublier qu'on a une histoire commune".

"Ce sommet est utile, c'est une des premières fois qu'on a la possibilité de rencontrer un président, nous les gens de la société civile. Et on peut s'adresser à lui assez librement, ce qui n'est pas toujours possible ailleurs ou n'était pas le cas avant. C'est une étape qui peut faire avancer les choses".

"Les choses annoncées ici seront-elles appliquées? Il faudra voir, mais il ne faut pas oublier que Macron est le président de la France, pas d'un pays africain. Il y a les choses que nous devons faire nous-même en termes de gouvernance par exemple".

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