Image Post

ELECTIONS AU KENYA : Faut-il regretter la victoire de Ruto ?

Le suspens du scrutin présidentiel du 09 août dernier a été levé lundi 15 août 2022 en début d’après-midi. Quelques heures avant l’annonce officielle des résultats par Wafula Chebukati, le président de l’Independent electoral and boundaries commission (IEBC) qui, droit dans ses bottes, a annoncé officiellement la victoire de William Ruto, vice-président sortant en rupture de ban avec le président Uhuru Kenyata, en faisant état d’« intimidations et harcèlements ». Auparavant, 4 des 7 membres de l’IEBC, parmi lesquels la vice-présidente, Juliana Cherera, s’étaient désolidarisés de ces résultats.

La victoire de Ruto a été mal accueillie par beaucoup à Kinshasa où on n’a pas oublié qu’il avait naguère fustigé de manière caustique l’indolence des Congolais, « plus préoccupés par la danse et la musique et enclins à frimer avec des pantalons enfilés au-dessus du nombril ». L’amour-propre des Congolais en avait certes pris un coup mais la question qui mérite d’être posée à cet égard est celle de savoir si, au regard de l’évolution de la situation dans ce pays et dans la région ces dernières années, l’auteur de cette forte parole avait eu tort de ne pas les caresser dans le sens du poil.

Anti-hédoniste

On sait en effet que le sous-développement endémique du Congo-Kinshasa, pays réputé le plus riche en matières premières et en pluviométrie du continent noir, réside dans l’hédonisme, l’intempérance, et la désinvolture de ses élites qui est aux antipodes de l’héroïsme dont firent preuve les Dona Kimpa VitaSimon KimbanguPatrice-Emery LumumbaPierre MuleleMzée Laurent-Désiré Kabila ou Etienne Tshisekedi, qui furent tout sauf des adeptes du  « carpe diem quam credula postero », cette locution extraite d’un poème d’Horace que l’on traduit en français par « cueille le jour présent sans te soucier du lendemain », et qui caractérise les générations actuelles. Il n’y a donc pas à faire grief à William Ruto parce qu’il n’a pas ciré les pompes des Congolais, toujours prompts à attendre des autres ce qu’il leur revient de faire pour émerger.

A en juger par les mystifications des médias-mensonges qui s’acharnent outre-Méditerranée sur le président élu du Kenya en l’affublant de clichés sulfureux d’homme d’affaires corrompu et d’auteur d’actes d’incitation à la haine ethnique pour lesquels il a été innocenté faute de preuves par la Cour pénale internationale (CPI), on s’aperçoit que Ruto n’est pas dans les bonnes grâces d’une certaine communauté internationale occidentale, la même qui tient la RDC en respect depuis 1960. Manifestement, les « maîtres autoproclamés du monde », croyaient l’élection présidentielle kenyane de 2022 jouée d’avance à partir du moment où, opérant une volte-face inattendue, le président Uhuru Kenyatta avait adoubé son vieil adversaire Raïla Odinga.

Victoire surprise

L’intelligibilité de la stratégie des influenceurs occidentaux au Kenya tenait au raisonnement simpliste selon lequel la victoire était certaine dès lors que deux poids lourds des dynasties Kenyata et Odinga, de surcroît membres des ethnies majoritaires kikuyu et luo, s’étaient ligués et contrôlaient l’appareil d’État. Le dynamisme intrinsèque de la société kenyane, dans laquelle les clivages tribaux tendent à être supplantés par une segmentation sociale, en a décidé autrement. Issus de familles modestes et devenus par leurs propres efforts détenteurs de grands holdings pourvoyeurs d’emplois, William Ruto, ressortissant de la vallée du Rift, et son colistier Righati Gachagua, du comté populeux de Nyeri, ont battu ensemble campagne sur les thèmes de la lutte contre la pauvreté et les inégalités sociales.

Le fait d’avoir été snobé par le président Uhuru Kenyata une année seulement après leur victoire commune de 2017, a permis à William Ruto de sortir du bois plus tôt en sillonnant le pays profond sur fond de la crise financière mondiale causée respectivement par la pandémie à Covid-19, la guerre russo-ukrainienne et l’inflation galopante subséquente qui ont altéré le pouvoir d’achat du Kenyan lambda et donné des lettres de noblesse à l’hymne aux  hustlers (débrouillards) qu’il a embouché aux quatre vents en faisant miroiter à ses compatriotes l’espoir d’une « économie du bas vers le haut ». Ce discours semble avoir fait mouche au Kenya où une population très jeune piaffait d’impatience en quête d’opportunités d’emploi et d’une répartition plus équitable des revenus du tourisme, première industrie nationale.

En phase avec la dynamique interne

La première leçon à tirer de cet exploit réalisé par Ruto est qu’une élection présidentielle se gagne lorsqu’on est en phase avec la dynamique interne. L’irritation provoquée à juste titre chez les Congolais par les propos à l’emporte-pièce de l’alors vice-président d’Uhuru Kenyatta sur eux n’a influé en rien sur le choix que les Kenyans étaient les seuls à faire de leur président, n’en déplaise à un politologue de pacotille qui, oubliant que les États n’ont ni amis, ni états d’âme, s’est évertué à établir on ne sait quels liens entre l’élection kenyane et l’avenir de la RDC au simple motif que « les accords qui ont porté Félix Tshisekedi à candidater à la présidentielle de 2018 ont été conclus à Nairobi sous le parrainage du président Kenyatta » (sic !).

A l’évidence, la RDC est obligée, bon gré mal gré, de composer dorénavant avec le président démocratiquement élu du Kenya, malgré l’agacement suscitée par les critiques de William Ruto qui ne font que mettre en relief des postures d’insouciance qui sont aux antipodes du rôle de locomotive du continent qui lui revient. Les Congolais ont intérêt à adopter l’attitude frugale et responsable qui sied aux détenteurs de la gâchette du « revolver Afrique » de Frantz Fanon. Quelques opportunistes congolais qui frétillaient en se liant d’amitié avec le candidat Raïla Odinga, auréolé par le soutien du président Kenyatta, considérant que le corps électoral était peu digne d’intérêt, sont insatisfaits par les résultats provisoires de la présidentielle kenyane. Ils doivent comme les partisans du candidat malheureux, faire contre mauvaise fortune bon cœur.

 

laissez votre commentaire