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Nos réticences à pardonner à autrui proviennent d'un sentiment de prétendue justice. Il serait, pensons-nous, injuste de passer l'éponge sur une offense qui a été faite ,elle exige réparation. Pourtant si nous consentions à nous situer devant le pardon que Dieu ne cesse de nous accorder, notre exigence de justice nous apparaîtrait bientôt vaine.(Père Xavier Bugeme sj)

Mes chers Paroissiens, chers frères et sœurs, Paix ! 

Je vous envoie la méditation pour ce mardi de la 3ème semaine de carême. 

Lecture Dn 3, 25.34-43

Ps 24

Évangile Mt 18, 25-35 

Pierre a eu des ennuis avec quelqu'un. On a péché contre lui. On lui a fait mal. Quelqu'un l'a contré, ou bien a eu une discussion orageuse, ou a commis une injustice envers lui.  Il n'est pas question de la gravité de la faute. Mais, de toutes manières, à cause de la difficulté qu'il éprouve à pardonner, il a dû être touché à vif. 

Nous voici dans le domaine des "relations" humaines, celui où se jouent les manquements au "grand commandement", celui où naissent et s'entretiennent les conflits et les indifférences, celui où les blessures restent les plus vives, parce qu'on les croit définitives.  Pour comprendre, vitalement, la question de Pierre et la réponse de Jésus, il nous faut appliquer cela à notre propre vie : qui me fait souffrir ? Avec qui mes relations humaines sont-elles difficiles ? Qu'ai-je à pardonner ?  Le chiffre sept, avancé par Pierre, était symbolique.

C'était, pour un juif de ce temps-là, un chiffre qui symbolisait la perfection. Mais Jésus fait éclater cette perfection, et la pousse jusqu'à son maximum.  

Le pardon, l'amour... doit être absolument sans limites. Cela va au-delà du "raisonnable".

Même si le frère ne s'améliore pas, s'il retombe toujours dans le même péché contre moi ? Oui, répond Jésus.  Pour nous accompagner dans notre prière, je vous suggère cette réflexion du Pasteur Bernard Mourou ( www.eglise-protestante-unie.fr)  Bonne méditation à toutes et à tous. (Père Xavier Bugeme sj). 

Pardonner soixante-dix sept fois sept fois, est-ce encore une règle de plus à appliquer, une règle qui va encore rendre un peu plus difficile notre vie de chrétien ? Est-ce une exigence de plus, un devoir incontournable ? Alors, vous me direz peut-être : « Non seulement j’ai subi un préjudice, mais en plus, c’est à moi qu’on demande quelque chose ! C’est vraiment injuste ! On ne peut même pas se défouler dans une rancune jubilatoire, sans cette rancune libératrice qui permet d’exprimer toute notre haine, de lancer tout notre fiel à la tête de ces personnes qui nous ont causé du tort, ce membre de ma famille, cette personne dans l’Eglise, cet ami, ce collègue, ce voisin, cet inconnu, peut-être ? Même de ce défoulement que permet la vengeance, la victime serait privée ? N’est-ce pourtant pas tout ce qui lui reste, à cette malheureuse victime ? Faut-il qu’elle soit doublement victime ? Faut-il se résoudre à la loi du plus fort ? Dieu se place-t-il du côté des méchants ? » Et alors deux attitudes s’offrent à nous : soit la rancune est la plus forte, et on laissera tomber cette recommandation du pardon qu’on juge trop exigeante, soit on se résigne, la mort dans l’âme, en serrant les dents, à contrecœur et en pensant en son fors intérieur que, décidément, le christianisme est une religion bien exigeante et finalement bien triste. 

Dans le judaïsme de l’époque, le monde religieux discutait du nombre de pardons à accorder. Rabbi Yosé résume le point de vue dominant en disant : Si quelqu’un pèche une, deux ou trois fois, on lui pardonne, mais pas s’il pèche quatre fois. En général on allait jusqu’à trois. Le chiffre trois avait l’avantage d’être un chiffre divin.

On savait que Dieu était du côté de la justice, donc après, une fois qu’on avait compté le nombre de pardons qu’il fallait donner pour être un bon juif, on pouvait donner libre cours à sa haine, en tout bonne conscience : on avait Dieu de son côté.

Ainsi, la religion servait juste à faciliter la vie sociale : elle incitait le fauteur de trouble à se repentir et à abandonner son comportement, sous la menace. C’était la méthode bien connue de la carotte et du bâton, qui a fait ses preuves.

La carotte, c’était le pardon qu’on pouvait obtenir si on n’allait pas trop loin, le bâton, c’était l’absence définitive de pardon, qui venait comme un couperet dans la relation.  Le temps que Pierre a passé auprès de Jésus a dû lui montrer que pour son maître le pardon est quelque chose d’important.

Alors Pierre avance un autre chiffre, lui aussi un chiffre divin : il va jusqu’à sept. Il a plus que doublé le chiffre qui était pris comme norme. Il pense sans doute montrer beaucoup d’audace et de générosité. Cherche-t-il à briller et à paraître plus original que les autres, plus progressiste ? Ou bien veut-il être rassuré, tout simplement.

On aime en effet les choses bien définies, on préfère ce qui est connu, et on sera plus à l’aise avec des demandes précises mais exigeantes, qu’avec des attentes modestes mais floues. On préfère ce qui est bien défini parce qu’alors on a l’impression d’avoir une prise sur les choses. Si on remplit le contrat, si on répond à ces exigences, alors on sait ce qu’on obtient en retour.

C’est sécurisant, ça nous rassure, car rien n’est plus inconfortable que l’incertitude. Alors, même s’il faut aller jusqu’à sept, eh bien il viendra bien un moment où l’on aura fait tout ce qu’il faut pour être en règle avec Dieu, et alors après viendra le moment où l’on pourra donner libre cours à ses pulsions vis-à-vis de l’abominable pécheur qui nous a fait du tort.  La réponse faite à Pierre montre qu’une fois encore, Jésus sort du cadre. Il est là où on ne l’attend pas.

En répondant soixante-dix sept fois sept fois, il ne se place plus du tout dans la perspective du monde religieux, il adopte une autre logique. D’abord, il fait référence à un personnage biblique. Soixante-dix sept fois sept fois, c’est le nombre que cite Lémek. Il est question de ce Lémek dans le début du livre de la Genèse.

Lémek était un descendant de Caïn. Vous vous rappelez que Dieu avait promis à Caïn que si quelqu’un le tuait, il serait vengé sept fois. Lémek va plus loin et dépasse toute mesure : dans un chant de vengeance, il décrète : Si Caïn doit être vengé sept fois, Lémek le sera soixante-dix-sept fois ! Rien moins que ça ! Une vengeance qui n’aura pas de fin. C’est la vengeance parfaite de l’homme livré à ses propres pulsions, la vengeance ultime, désespérée, comme toute vengeance. En écho à cette vengeance parfaite de l’homme livré à lui-même, Jésus oppose le pardon parfait de l’homme selon Dieu.

Une perfection dans le pardon qui répond à cette perfection dans la vengeance.  Mais justement, cette perfection dans le pardon n’a-t-elle pas pour nous quelque chose d’écrasant, d’inhumain ? Elle peut nous conduire soit à nous décourager, soit à relativiser le texte biblique. Jésus mettrait-il la barre trop haut dans pour nous humilier, pour nous montrer que de toutes façons nous n’y arriverons jamais, que finalement seul Dieu est Dieu, et que nous, nous serons de toutes façons toujours imparfaits ? Certes, c’est un fait que nous serons toujours imparfaits. Mais est-ce vraiment la conclusion que nous devons tirer de ce texte ?  Je ne le crois pas. C’est vrai que nous ne sommes pas tout-puissants. Mais pour l’affaire qui nous occupe c’est plutôt une bonne nouvelle, parce que si nous ne sommes pas tout-puissants, cela signifie aussi que l’autre, celui à qui nous en voulons, celui qui nous a causé du tort, lui non plus n’est pas tout-puissant.  Et si ce que nous percevions jusque là comme une exigence, l’exigence du pardon, n’était peut-être pas une exigence, justement. Et si cette nécessité du pardon était simplement la prise en compte de la réalité, d’une réalité dont nous n’avons pas toujours conscience ? Dans son épître aux Romains, Paul a cette phrase : Nous savons, du reste, que tout coopère pour le bien de ceux qui aiment Dieu, de ceux qui sont appelés selon son projet.

Si nous ajoutons foi à cette déclaration, si nous avons vraiment compris que tout ce qui nous arrive, même par le biais d’autrui, agit en notre faveur, au bout du compte, alors il n’est plus possible d’en vouloir à la personne qui s’est montrée hostile ou malveillante à notre encontre. Si tout coopère pour notre bien, alors cet autre à qui j’en veux n’a finalement été qu’un instrument entre les mains de Dieu.

Cette personne n’en est pas consciente : elle se trouve, tout comme nous, dans une situation qui la dépasse. La situation nous dépasse mais elle tournera à notre propre avantage.   Dans ces conditions, nous voyons qu’il est déjà plus facile de pardonner. Nous ne sommes plus dans la désespérance qui animait Lémek.

Sa vengeance ne pouvait rien lui apporter, si ce n’est une satisfaction passagère et malsaine. Dans ce que nous propose Jésus, au contraire, le cycle infini du pardon peut remplacer le cycle infernal de la vengeance.

Parce que dans tout ce que nous vivons, il y a forcément un sens, même si nous ne le voyons pas. C’est ce qui se passe dans l’histoire de Joseph : ses frères ont fait le mal, mais au bout du compte, la fin de l’histoire, que nous avons lue tout à l’heure, nous dit : Le mal que vous comptiez me faire, Dieu comptait en faire du bien.

Lorsque Joseph a eu ses déboires, lorsqu’il a été vendu par ses frères et considéré comme mort par son propre père, il n’a certainement pas vu le sens de tout ça. Mais au fil du temps, aidé par la confiance qu’il avait en Dieu, son seul recours, il s’est mis à comprendre que le mal se changeait en bien. C’est parce qu’il a compris cela que Joseph n’a aucune difficulté à pardonner à ses frères.

Ce pardon apparaît comme une évidence. Et pourtant, si nous y réfléchissons, il était tout à fait improbable au début de l’histoire, aussi improbable que la place que Joseph a occupée en Egypte et le rayonnement qu’il a eu. 

Nous le voyons, le pardon est moins une affaire de sentiments qu’une affaire de compréhension. Alors nous n’arriverons pas au pardon en serrant les dents et en cherchant à faire des œuvres méritoires, mais nous arriverons au pardon en entrant dans une nouvelle compréhension du sens de notre vie.

Nous arriverons au pardon en ayant cette confiance que tout coopère pour notre bien. Amen. 

Réflexion recueillie et proposée par le Père Xavier Bugeme sj   Curé de la Paroisse Christ Roi de Mangobo à Kisangani.

 

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